Naufrage du voilier-école de Smet de Naeyer - photos - suite 13 - mercredi 17.

La suite judiciaire du drame .

Le 27 juillet 1908, la 2ème Chambre du Tribunal Civil de Bruxelles rend un premier verdict.
Il fallut attendre plus de deux ans pour que la 2e Chambre du Tribunal Civil de Bruxelles. présidée par Mr. Boels rendit le 27 juillet 1908 un premier verdict.
« Elle dut tout d’abord convenir de son incapacité à déterminer les raisons de l’envahissement des eaux : « La cause du désastre, de la perte du bâtiment, est restée inconnue malgré toutes les recherches, toutes les investigations auxquelles on s’est livré. Rien à ce sujet n’a pu être établi. L’envahissement subit de tout le navire par l’eau est un fait véritablement inexplicable ».

Mais ce tribunal déclara néanmoins le commandant A. Fourcault responsable du drame :

« Il résulte dans l’espèce des circonstances de la cause que les conséquences du naufrage doivent être
attribuées à ce que les mesures pratiques pour la mise à l’eau des embarcations de sauvetage n’ont pas été prises - il fallait arrêter le navire au moment de la mise à l’eau des canots – et subsidiairement. à ce que les appareils de déclenchement des canots, dont on n’a pas fait l’essai avant de prendre la mer, étaient défectueux. On ne peut exiger des administrateursd’ une société d’armement qu’ils vérifient eux-mêmes ce
fonctionnement. Ce soin incombait au capitaine ».

Il fut fait appel à ce jugement et le 12 mars 1910 la Courd’Appel de Bruxelles acquittait le capitaine A. Fourcault et réhabilitait sa mémoire » .

On peut se demander pourquoi le naufrage du COMTE DE SMET DE NAEYER marqua tant les mémoires et surtout pourquoi sa fin tragique suscita tant de polémiques et de troubles ?
Certainement le fait que 18 jeunes cadets sur les 33 victimes y perdirent la vie joua un grand rôle, mais à cela il faut ajouter :
1) que l’opinion publique dut attendre longtemps les conclusions de la commission d’enquête et les attendus du procès, qui ne se termina qu’en 1910 en appel ;
2) que les attendus ne fournissaient pas d’explications sur les différents aspects de cette tragédie et qu’en appel le capitaine A. Fourcault fut acquitté de la condamnation du premier procès.
Dès lors des théories se firent jour dans l’opinion publique ou des questions furent soulevées.
Passons en revue celles-ci afin que chacun puisse se forger une opinion en soupesant leur validité.

a) Le cas du capitaine A. Fourcault :

Etait-il « the right man in the right place », car sans mettre en cause ses qualités intrinsèques de marin et son expérience de la navigation, il n’avait jamais commandé un grand voilier, tout comme d’ailleurs tous les autres capitaines belges, car il n’y avait pas de voilier de ce type dans notre flotte.

Fait plus troublant un quotidien belge en date du 5 mai 1906 publie un article qui dit :

« ...un journal bruxellois reproduit en ces termes les confidences qu’aurait faites à un de ses amis, le commandant Fourcault : lorsque le commandant revint de son premier voyage sur le navire-école, il fit un rapport où il signalait les vices de construction. Il disait qu’il ne réembarquerait sur le COMTE DE SMET DE NAEYER qu’avec de vives appréhensions.
On sait que le ministre Liebaert, sachant que Fourcault refusait d’assumer la responsabilité de commander un navire présentant si peu de sécurité pour l’équipage le manda à Bruxelles. L’entretien fut très long, car Fourcault déclinait énergiquement l’offre qui lui était faite.
Et le ministre, - c’est le malheureux Fourcault qui l’a déclaré à ses intimes - dut insister et faire appel à l’abnégation du commandant qui en fin de compte accepta, mais à contrecoeur.
D’autre part, Fourcault n’a pu s’assurer des conditions d’arrimage du navire, ni de la façon dont la visite de la coque avait été faite alors qu’il était en cale-sèche, puisqu’il ne fut nommé qu’au dernier moment.
Le pauvre officier, mort en héros, ainsi que nous l’affirmait hier encore un de ses matelots, a péri, ainsi que les cadets disparus, victime de l’incurie de ceux qui ont présidé à l’organisation du navire-école».

Après avoir fait écho aux révélations de son confrère, le quotidien livrait à ses lecteurs ses propres constatations en ces termes :
« Bornons nous pour le moment à dire que ces "confidences" prêtées au commandant Fourcault ne cadrent pas avec certaines déclarations officielles et avec d’autres faits connus ».

Ces confidences faites par A. Fourcault furent aussi évoquées lors de l’interpellation du Gouvernement le 9 mai 1906 par le député libéral Adolphe Buyl. Nous n’en saurons jamais le bien-fondé vu la disparition tragique du commandant. Le ministre Francotte, au nom du gouvernement, déclara au cours de la même interpellation que le commandant Fourcault ne s’était pas exprimé en ces termes.

b) Une hypothèse pour expliquer le naufrage ?

« Un autre journal nous donne l’avis d’une des personnes les mieux à même de la place d’Anvers pour donner des indications exactes sur les causes précises de la catastrophe. D’après cette personne, ce ne serait ni la question de la stabilité, ni la question des qualités du marin qui se poseraient.
Le naufrage s’expliquerait par l’ouverture complète ou partielle de la vanne commandant l’admission de l’eau dans la soute à lest.
- Comment cette vanne s’est-elle ouverte ?
- Estce à la suite d’une erreur ?
- Ou à la suite d’un désarrimage de la cargaison, dérangeant le tuyau mettant en communication la vanne avec le pont ?
Possible. Ce sont là tous points qu’une enquête seule pourra établir. Il est à remarquer a déclaré à ce journal cette « personne compétente » que le système de soute à lest d’eau pour les voiliers, s’il présente de grands avantages au point de vue de l’économie, présente d’autre part un très grave danger et on peut se demander si ceux qui ont fait construire le navire-école s’en sont rendu suffisamment compte.
Et après avoir longuement expliqué les avantages et les inconvénients de ce système à bord de voiliers et de vapeurs, il concluait :

« Après avoir rempli ces soutes, l’eau débordera, envahira la cale, submergera les autres marchandises et, montant graduellement finira, sous l’influence de la pression de l’air qui se trouvait dans la cale, par faire sauter les panneaux d’écoutille, comme c’est arrivé pour le COMTE DE SMET DE NAEYER ?
C’est aussi à cause du danger que présentent ces soutes à lest que beaucoup de personnes compétentes préfèrent l’ancien système de lestage (à l’aide de terre, sable etc.) qui, si parfois il présente des difficultés et donne lieu à certains frais supplémentaires ( ..) n’en présente pas moins infiniment plus de sécurité et met en tous cas, le navire à l’abri soit de confusion, soit d’un oubli, soit d’un acte de malveillance ».

Jamais il ne fut établi ou reconnu que le navire présentait des défauts de conception ou de construction.
Le Gouvernement de l’époque ( premier ministre Paul de Smet de Naeyer II du 5 août 1899 au 2 mai 1907) rejeta toutes les allégations en ce sens.
Le député libéral César Van Damme, lors de son interpellation à la Chambre du 9 mai 1906, avait rappelé que le 11 avril 1905 il avait déjà donné des avertissements sur la conception, la construction et la sûreté du voilier, mais le voilier avait à cette date pris la mer pour son premier voyage.
En réponse, le Gouvernement répondit que le navire avait reçu toutes les certifications nécessaires.

c) D’autres éléments à verser au dossier ?

« En 1971, le journaliste Justin Gleissner interviewa pour le compte du quotidien « Gazet van Antwerpen » MM. Edmond Van den Bossche (82 ans), et Jules Meulemeester (86 ans), tous deux rescapés du naufrage.
L’édition du 17 avril de ce journal fit écho aux péripéties vécues par ces deux hommes, au cours des derniers moments du voilier.
Il ressort de leurs souvenirs que lorsque J. Meulemeester se leva le 19 avril 1906 à 4 h. du matin pour prendre son quart, le plancher du poste des cadets où il logeait était déjà sous eau.
Alors, accompagné de son ami Emile Van den Berghe, cadet comme lui, ils obéirent aux injonctions du commandant et abandonnèrent le navire. Ils ne durent leur salut, dit-il, qu’en sautant dans la seule embarcation de sauvetage encore à flot.
Lorsqu’on lui posa la question de savoir s’ils se mirent ensuite à «nager» (ramer) l’ex-naufragé répondit qu’ils se trouvaient bien trop loin des côtes pour les atteindre en ramant et qu’il eut été mieux d’établir une voile.
Et il ajouta, acerbe :
« Maar wat wilt ge, we hadden geen zeilschip-officieren » [Mais que veux- tu, nous n’avions pas d’officiers de voilier] ...
Et de critiquer l’Administration de l’époque qui, selon lui, avait recruté un « cadre composé de gens incapables ».
Il témoigna aussi que le voilier avait encore de l’erre lorsque les canots furent débordés et que ceux-ci, n’étant pas munis de lignes d’embossage, chavirèrent en touchant l’eau.

Quant aux causes mêmes du naufrage, il ne voulut jamais rien en dire, si ce n’est que :
« les vraies raisons ne seraient jamais révélées ».

Edmond Van den Bossche, alors professeur à bord, se rappela avoir été réveillé à 5 h, du matin aux cris de « Alle hands aan deck ! » [tout le monde sur le pont].
Prenant alors contact avec le commandant, celui-ci lui déclara, en français : «J’aimerais que tout le monde soit debout, car il fait mauvais ». Convenant des années après, qu’ « Effectief, er stond een wilde zee »... « en effet, la mer était très grosse ».

L'équipage
17 nov. 2021

    Phare du monde

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    2022