Vos histoires de mer 15

'idée est de raconter une histoire, étonnante, surprenante, drôle, qui vous est arrivée en navigation ou en escale.
Les règles : Gentillesse, tolérance, bon enfant, retour sur les histoires racontées.
Pas de nouvelle histoire avant la fin de la discussion sur l'histoire en cours.
Prenez votre temps, on risque d'être plus longtemps que prévu derrière nos écrans.
Suite de www.hisse-et-oh.com[...]-mer-14

L'équipage
17 juin 2025
18 juin 202518 juin 2025

Une petite histoire à faire réfléchir les marins pêcheurs.

Nous sommes maintenant depuis 3 mois à naviguer en Colombie Britannique. Entre l’île de Vancouver et le continent canadien au milieu des centaines d’îles plus sauvages les unes que les autres. On navigue dans des vallées glaciaires, toujours vent portant, puisque le vent est dans le sens de la vallée et comme on a bien le temps, il suffit d’attendre qu’il soit bien orienté pour avancer tranquillement sous génois seul.

L’environnement est superbe. On passe entre les Drus et les Grandes Jorasses. Les montagnes sont toujours toutes blanches de neige, les sapins verts et le ciel bleu.

Les baies sont nombreuses, parfaitement protégées de tous les vents et on peut mouiller ou on veut dès que les fonds le permettent. Beaucoup de quais publics sont implantés un peu partout. La navigation est facile, les cartes précises et la météo agréable.
Bref, ce serait parfait.

Mais…

Mais il n’y a plus rien. Plus de vie, plus d’habitants, plus de poissons, plus d’oiseaux, plus de cétacés, peu d’ours. Les quelques villages sont déserts ou peuplés par de vieux indiens retraités, les écoles ont fermé, les quelques ports ne protègent plus que quelques bateaux de pêche à l’état d’épave, parfois gardés par un native désabusé.

On peut voir dans certains ports vides maintenant, de vieilles photos ce ce même port dans les années 70/90 remplis de centaines de chalutiers, caseyeurs, fileyeurs.

On peut trouver de vieilles cartes répertoriant les villages et quand on s’y arrête, on ne trouve que des maisons fermées, avec encore les meubles à l’intérieur. On passe devant de vieilles usines de fabrication de filets, de mise en boite de saumon, des ruines.

Ils ont tout pêché, tout.

Mais non seulement il n’y a plus de pêche, (l’état a racheté les licences quelques milliers de dollars), mais cette disparition a entraîné l’exode.

Parce que les autres activités n’étaient que complémentaires à la pêche.

Plus de coupes de bois. On devine les anciennes coupes aux couleurs différentes des arbres dans les montagne. Plus de coupes, veut dire plus de pousseurs, plus de trains de bois, plus d’habitants veut dire plus de poste, plus d’épicerie, plus d’école.

On lit encore dans les  « vieux » avis Navionics de 2000/2010 que tel mouillage est bien protégé, mais bruyant de coupes de bois. C’est fini, plus de coupe.

On trouve dans les écoles aux portes encore ouvertes (certaines ont fermé en 2008) des articles de journaux « la côte fantôme, les poissons se raréfient, les habitants s’en vont, l’école ferme ».

Mais non seulement il n’y a plus d’habitants, mais la disparition des poissons a entraîné la disparition de la faune.

Plus d’oiseaux. Quelques aigles à tête blanches tournoient dans le ciel en poussant leurs cris aigus, mais les oiseaux de mer sont très rares. De temps en temps, un phoque, une orque ou une baleine, mais on est très loin des quantité qu’on pouvait voir au Mexique. Les ours qui étaient estimés à 160 000 en 2000 ont semble-t-il vu leur nombre divisé par 2.
Les poissons n’existent plus. Pas vu la queue d’un saumon depuis 3 mois. Les lignes restent désespérément vides.

Même les fermes aquacoles ont disparu. Pourtant nombreuses et encore marquées sur nos cartes, elles n’existent plus. Sans doute ont elles été interdites pour tenter le retour des saumons sauvages ?
Mais les quelques bâtiments restants sont fermés, sans activité.

Imaginez, navigateurs méditerranéens, vous arrivez dans les îles de la mer Egée, toujours aussi belles, mais vides de tout habitant. Les villages déserts, certains en ruine, les ports vides de caïques, les boutiques fermées et plus ni poisson ni oiseau de mer….
Imaginez, les nordiques, navigant en Écosse et plus de distillerie, plus de chalutier, plus de pub et aucun kilt à la ronde, pas plus de cornemuse.

C’est comme ça ici. Un pays de rêve, une navigation plaisante et facile, des conditions parfaites.

A être des milliers à pêcher, ils ont détruit leur pays.

18 juin 2025

Incroyable qu'en seulement 15 ans , ce constat de désertification...j'y ai navigué deux saisons de 2008 à 2010...et j'avais été surpris de voir les gros trawlers américains en provenance de Seattle faire une véritable razzia sur les saumons en été dans ces eaux jusqu'en Alaska ....énorme congelos remplis ras la gueule de saumons...reste à espérer que si plus de pêche à outrance , la situation s'améliore....très belle région pour naviguer...profitez en bien...amicalement Pierre

18 juin 2025

On a un peu l'impression d'être dans la chanson des Cow boys fringants, même s'ils parlent de la Gaspésie :

18 juin 2025

Ca fait froid dans le dos...

18 juin 2025

Le problème pour le saumon est qu'il revient se reproduire là ou il est né. Si le stock a été décimé alors il n'y a plus de pontes et le saumon ne revient donc pas. L'écosystème est donc bien plus long à reconstituer qu'avec d'autres types de poissons. Il faudrait ensemencer avec des alevins éclos artificiellement sur place, mais il faut quelqu'un pour payer sans espoir de retour avant des années. d'autre part on ensemence avec quelques souches de femelles seulement. Comme ces poissons viendront se reproduire entre eux plus tard, le patrimoine génétique devient dangereusement pauvre.
C'est triste de voir cela. La gestion des quotas de pèche en Europe sont très critiqués mais finalement nous ont protégés de cette éradication halieutique

18 juin 202518 juin 2025

Je crains fort ED que ce que tu decris quant la disparition des écosystèmes, ne ressemble à ce que sera la planète dans quelques décennies.

18 juin 2025

La Baltique est un peu comme ça. Au niveau poissons je veux dire.

19 juin 2025

NB:
Entre 1 et 10 pour cent des saumons sont des explorateurs qui ne reviennent pas à leurs lieux de naissance et colonisent d'autres endroits.

19 juin 2025

Excellent article d'ED850 que l'on peut qualifier de reportage. On peut retrouver la saga du saumon pacifique, entre autre, dans le roman de James A. Michener "Alaska" aux Éditions de la Découverte. Le jusqu'au-boutisme imbécile du capitalisme le plus extrémiste appliqué à la nature. Associez ça au caractère bovin des populations importées dans ces régions (nos ancêtres européen ayant émigré) et vous aboutissez non pas à une catastrophe que l'on devine +/- réparable mais à un vide faisant le pendant au néant. Les autochtones, eux, on eu le droit de se taire et de picoler jusqu'à en perdre la raison.
J'ai eu l'occasion de descendre un petit fleuve de l'île Kodiak à l'embouchure duquel quelque industriel avait obtenu, à coup de procès fin 19eme, début 20eme, l'autorisation de prélever 100% des saumons venant se reproduire. Lors de notre visite, un siècle plus tard et à mi-saison, le dispositif de comptage avait enregistré 54 passages. Les saumons semblaient pourtant assez nombreux à l'embouchure mais semblaient réticents à poursuivre leur remontée. L'état d'assèchement du fleuve qui ne va pas aller en s'améliorant avait peut-être son importance.
Des "trains de mesures" ont été pris, gardiennage, évaluations diverses du milieu, autorisation des populations locales pour y circuler, pêche "no kill", alcool interdit etc. Mais, contrairement à nos réserves marines qui se sont rééquilibrées toutes seules, la nature dans ces régions ne semble pas pouvoir retrouver son souffle.

19 juin 202519 juin 2025

Le poste de ED me fait penser à une petite anecdote insignifiante, mais qui après réflexion ne l'est pas du tout.

Je marchais dernièrement avec ma compagne sur le sentier côtier allant de Bestré à la pointe du raz, et c'est alors que voyant un papillon voleter, je fais remarquer à celle-ci:
-regarde,y a un papillon
Cette petite remarque peut paraître anodine, et pourtant,on n'en voit de moins en moins des papillons, à tel point qu'on remarque leurs présence.

Cet effondrement de la biodiversité est une catastrophe absolue, et je crains fort que dans un avenir proche, l'essentiel des êtres vivants qui peupleront cette terre ne soit constitué que de bipèdes; c'est triste...

19 juin 202519 juin 2025

Nb:
La pointe du raz n'est pas le biotope idéal pour les papillons.
J'en ai plein chez moi.
C'est comme les mouettes, quand les papillons volent comme les mouettes en marche arrière, il y a trops de vent.
C'est un coup s finir dans la baie des trépassés

19 juin 2025

Il n'empêche que globalement il y a une diminution dramatique des insectes et de pleins d'autres espèces, c'est factuel, et le fait qu'il y ait pleins de papillons dans ton jardin ne change rien à l'affaire, il suffit de constater la propreté de nos pares brise y compris dans des zones où la vie devrait foisonnée.

19 juin 2025

Nb:
Pour les parebrises, il est a noter que le profil aérodynamique de nos voitures a bien évolué,
J'ai fait 600km hier,il y a plein d'insectes écrasés sur le bouclier, et aucune trace sur le pare-brise.

19 juin 2025

Quant à moi, je constate qu'il n'y a quasiment plus d'hirondelles dans le ciel 🥺
Une conséquence de la disparition des insectes que vous constatez🤔?

19 juin 202519 juin 2025

elles sont arrivées tard cette année, je trouve.
hier soir, ça tournait bien dans le secteur.
je me suis aussi inquiété pour le merle que j'entends depuis 15 ans (je me doute que ce n'est pas le même), mais il est bel et bien là.

mais on a des mouettes à longueur d'année, à 100 km à l'intérieur :-)

20 juin 2025

Le problème dans ce genre de sujet, c'est qu'il engendre des polémiques alors qu'il devrait servir d'exemple et faire consensus pour avoir des démarches vers une attention plus grande envers les problèmes écologiques.

Je suis persuadé que les pêcheurs de cette région se sont dit, comme se le disent beaucoup d'habitants de la terre, que la nature est résiliente, qu'elle est infinie et qu'elle s'adaptera, tout comme l'Homme.
Comme les pêcheurs bretons qui labourent les fonds marins toutes les nuits, qui râlent contre les éoliennes en cherchant toutes les fakes news et études des professeurs trucmuche, diplômé de l'université de Grisy les Plâtres étude financée par Moncento et Total et parue uniquement sur You Tube.

Ce que montre ce qui est arrivé ici, sur une côte sauvage de 1000 milles avec des milliers d'iles, c'est que la nature n'est pas résiliente. Toute agression se paye.

Il faut vraiment imaginer comment c'est.

C'est un peu si en quelques années, la Bretagne n'avait plus de poisson ni crustacés (Ici, les bivalves sont interdits à la consommation, car toxiques). Imaginez Le Guilvinec, Loctudy, Audierne etc... sans chalutier.

Les études (sérieuses) ici.radio-canada.ca[...]rapport , ou www.dfo-mpo.gc.ca[...]ra.html , attribuent la disparition autant à la surpêche qu'au réchauffement climatique.

Les mesures prises sont drastiques. Interdiction de la pêche, fermeture de tous les sites d'aquaculture, arrêt des coupes de bois.

Pour l'instant, il n'y a pas de remplacement par le tourisme. Sur Marine Traffic, on peut compter à peu près 200 bateaux (yachts) sur les 1000 milles de côte, et les paquebots passent direct entre Vancouver et Ketchikan ou Junau.

Je pense que ce qu'il s'est passé et se passe ici devrait vraiment servir d'exemple. En ne croyant pas les alarmes scientifiques, ils ont mené leur pays à la perte et ont dû s'exiler.

22 juin 2025

Histoire similaire sur les fameux banc de Terre Neuve.
La surpèche des gros reproducteurs à également conduit à la disparition des populations de morues.
J’ai cru comprendre que la niche écologique est aujourd’hui occupée par d’autres espèces.
On avance , on avance…

J’ai déjà raconté dans un texte fleuve (Tonga Soa Toamasina), notre arrivée à Madagascar en route pour un tour du monde d’ouest en est. Cet arrêt « caisse de bord » qui ne devait durer qu’un an, s’est transformé en un piège dans le fameux port autonome de Tamatave.

J’y ai perdu mes illusions, beaucoup de mon énergie, et de justesse le bateau, fruit de dix ans de travail et d’économies. Je ne dois sa sauvegarde des griffes des autorités portuaires corrompues, après deux ans de vaines batailles, qu’à un coup de maitre digne des échecs. Une ruse qui a berné ces requins, pourtant rompus aux magouilles les plus diverses.

J’ai pu me sauver avec le bateau au « prix » d’une condamnation à mort reçue dès le lendemain par téléphone, si je remettais les pieds un jour dans la ville, pour leur avoir « mis profond », ce que eux font quotidiennement aux gens qu’ils volent et qu’ils spolient de leurs biens. Le manque à gagner pour ces ordures était de l’ordre de 100 000 euros, que je n’avais pas, et qui dépassaient la valeur commerciale du bateau. Bateau naturellement invendable pour deux raisons : Madagascar n’est pas le meilleur pays au monde pour vendre un voilier de voyage (je reste soft en disant cela) et j’avais de toutes façons interdiction de le mettre à l’eau et encore moins de quitter le port.

Pour finir ce résumé, j’avoue avoir été aussi un peu voyou… car j’ai réussi à vendre le bateau posé à terre, dans la décharge des vieilles bouées et corps morts de la passe, sans que l’acheteur providentiel ne sache quoi que ce soit de mes déboires et de l’interdiction du bateau de quitter le port.

Ce n’est qu’une heure après avoir quitté le port, moteur toujours à fond et les mains encore un peu tremblantes que j’ai enfin eu me courage de répondre à l’étonnement de David, qui ne comprenait pas pourquoi je restais moteur à fond à 7 nœuds, les mains crispées sur la barre, en me retournant toutes les deux minutes pour scruter aux jumelles l’entrée du port.

Faute de gasoil pour remplir le réservoir de l’épave de ferraille pourrie de rouille qui sert de bateau de police portuaire, ils ne nous ont pas coursé. Nous auraient-ils rattrapés si le moteur avait démarré ? J’en doute. Nous avions 5 milles d’avance lorsqu’ils se sont rendu compte que j’avais mis à l’eau et que je fuyais vers le nord. Le poussif sabot pas caréné depuis des dizaines d’années ne nous aurait probablement pas rattrapé.

C’est la suite de cette histoire que je vais raconter maintenant. Sans doute en deux fois, car elle s’étale sur plus d’un an.

Après plusieurs heures de moteur vers le nord de Madagascar, je décide de mouiller sous le vent d’une petite île déserte. Il faut que je repose le moteur, mais surtout mes nerfs, mis à rude épreuve depuis trois jours. J’ai besoin de décompresser, de chialer un bon coup et de crier pour évacuer l’énorme pression qui est montée crescendo à fur et mesure que le plan s’exécutait et que le risque grandissait. J’ai compris que si j’avais un cerveau capable de mettre au point d’un plan digne du vol d’un tableau de maître au Louvre, je n’avais pas les nerfs qui font des gentlemans cambrioleurs (au sens où les armes sont proscrites) ce qu’ils sont !

A la réflexion, quelques semaines plus tard, j’en suis arrivé à la conclusion que c’était par faiblesse et couardise que j’avais toujours préféré être honnête depuis mon plus jeune âge. Pas par grandeur d’âme, car baiser ces salops m’a apporté une jouissance que je goûte encore quinze ans plus tard ! Il est en fait bien plus facile et reposant pour l’esprit de respecter les lois établies par les puissants. Bref, je m’égare. Ne relevez pas ce point. Ce n’est pas l’objet de ce forum. Mais tant qu’à faire, il m’est plaisant de vous livrer cette conclusion.

Donc, je me pose derrière cette île déserte, par 5 mètres d’eau. Si je parle à la première personne, alors même que je ne suis plus propriétaire du bateau, c’est que j’ai compris depuis l’avant-veille que David, qui prétendait avoir déjà possédé un voilier, est en réalité totalement novice. Niveau zéro. Absolument zéro. Il est assis dans le cockpit et il regarde mes actions avec plus que de l’étonnement : de la stupéfaction. Non, il ne suffit pas de tourner le volant et de tirer sur une ficelle pour que ça avance. Ce garçon de 25 ans est un petit rentier en vadrouille « sac à dos » autour du monde, sans date de retour en France. Il est sympa comme tout mais il ne comprend RIEN de ce qui se passe à bord. Il est aussi paumé que je le serais dans le cockpit d’un avion de ligne…

Pire, il n’intègre pas mes quelques explications élémentaires. Nous allons hisser la grand-voile. C’est un bateau de voyage qui possède 5 drisses et 2 balancines au mât avec divers retours : certains en pied de mât, d’autres dans le cockpit sous la casquette rigide. Mais il n’y a qu’une seule drisse de grand-voile, derrière le mât. Trois jours après notre fuite du port de Tamatave, David appelle toujours la drisse « ficelle ». Ce n’est pas grave en soit. Ce qui m’inquiète pour la suite, c’est que David ne trouve toujours pas la drisse de grand-voile quand nous la hissons le matin du quatrième jour, et prend au hasard un des 5 bouts qui arrivent au balcon de mat, balancine de tangon de spi comprise. Pire, il s’énerve et me dit que mon bateau est trop compliqué.

Ce jeune garçon est tout à fait normal et je pige un truc qui ne n’avait encore jamais effleuré l’esprit, car je suis né dans une famille de cap horniers et constructeurs de bateaux, fréquentant des gens du même milieu. Je n’avais encore jamais eu à bord d’un voilier de voyage, assez technique par pas mal d’aspects, un néophyte absolu. C’est trop compliqué et surtout trop en même temps pour lui.

Ma plus grande inquiétude, quatre jours après notre fuite reste néanmoins les représailles que j’imagine assez probables de la part des crapules du port de Tamatave. Je prends leurs menaces au sérieux. Pas celles de mort, que je sais être une façon de me dire que je vais devoir payer espèces sonnantes et trébuchantes ma ruse. Je crains la saisie du bateau et notre mise en prison immédiate au premier port d’escale. J’en ai appris assez sur ce pays depuis que j’y travaille pour savoir que la mise en prison se fait par n’importe quel fonctionnaire ou militaire sur un simple coup de fil, sans chef d’inculpation et que l’ambassade de France est très frileuse à sortir de derrière les barreaux les ressortissants français aux prises avec les autorités malgaches. Le séjour dans des prisons parmi les plus infectes au monde dure jusqu’à ce que l’on paye très-très cher sa sortie. La libération est alors immédiate, en général accompagnée d’une expulsion du territoire accompagnée d’une interdiction de retour d’au moins dix ans.

Ainsi, je fais durer notre séjour en mer au large des côtes est de Madagascar. Nous devons rejoindre l’île de Sainte-Marie, où David a décidé de se poser pour prendre le bateau en main, et d’où je pourrai reprendre l’avion pour la capitale, Tananarive. La distance n’est que de 70 milles depuis Tamatave. Mais nous mettons cinq jours ! Je prétexte les vents très faibles en ce mois d’octobre, et mon désir d’en apprendre le maximum à David. J’admets ne pas avoir été de la plus grande honnêteté intellectuelle sur ce coup. David, passé un peu à côté des subtilités du plan, et surtout des risques encourus, ne sait pas qu’on pourrait bien se retrouver derrières les barreaux pour plusieurs mois dès que nous toucherons terre.

Je choisi d’arriver à l’île Sainte-Marie au levé du jour, vers 04h30. Je sais que personne ne sera levé à cette heure là et que nous pourrons quitter le bord et nous cacher à terre avant que les autorités (douane, police, armée, gendarmerie) ne réalisent notre présence. Je mouille le bateau à l’abri de l’îlot Madame, par 6 mètres d’eau sur fonds de vase de bonne tenue. L’îlot Madame, distant de deux cent mètres environ de l’île Sainte-Marie est maintenant relié par une digue artificielle. Ce qui est aujourd’hui une crique très bien abritée était autrefois l’entrée d’une très grande baie devenue inaccessible, où les pirates mettaient leurs navires à l’abri des vents et de la mer difficile de l’océan Indien Sud.

Je mouille cinquante mètres de chaîne. C’est trop par six mètres d’eau, et le bateau va avoir un gigantesque rayon d’évitage si les vents tournent dans cette petite crique. Mais je sais qu’aucun autre voilier n’y viendra. Et je sais surtout que David est à ce stade absolument incapable de relever le mouillage et de naviguer avec le bateau. J’assure donc le mouillage pour que mon ex-bateau puisse rester là un bon moment sans se mettre à la côte. Mon petit sac de marin est prêt depuis le milieu de la nuit. J’ai juste dit à David de que voulais prendre le vol de 06h30 pour Tananarive et que faute de billet, je voulais filer à l’aéroport au plus vite. Alors nous sautons dans l’annexe quelques secondes après que j’ai coupé les sélecteurs de batteries et fermé les vannes.

Le premier pas à terre, sur le quai en ruine de ce qui reste du port, est un immense soulagement. Il n’y a pas un chat. Nous marchons cent mètres jusqu’à la route principale, où des poussepousses sont déjà présents. L’au revoir avec David ne prend que quelques secondes et je saute dans un des poussepousses. Je ne prends pas l’avion, car il n’y en a pas aujourd’hui… Je vais me cacher chez un ami qui m’attend, au sud de l’île. Au besoin, si la police me cherche, il pourra me ramener discrètement sur la Grande terre distante de 30 milles avec sa vedette puissamment motorisée.

Nous n’en aurons nullement besoin. L’information de notre fuite semble ne jamais avoir été transmise par le port de Tamatave. J’achète un billet d’avion par internet et je rentre à Tananarive deux jours plus tard, en 45 minutes de vol.

Comment David, qui doit quitter Sainte-Marie avant la saison des cyclones va-t-il faire ? Il ne sait pas naviguer, pas du tout. Il n’a jamais lu une carte, jamais utilisé un GPS. Il doit faire le tour de Madagascar par le nord, soit plusieurs centaines de milles au large d’une côte quasiment sans abri, extrêmement dangereuse, mal cartographiée, et soumise à la houle et à l’alizé de sud-est de l'Indien Sud.

Après tout, c’est son problème. C’est un adulte, il a du fric, il a pris la responsabilité d’acheter un voilier de voyage dans le trou du c.l du monde sans rien y connaitre. Six mois passent sans nouvelles, puis un jour, David m’appelle et il me raconte.
Ca vaut son pensant de rigolade et nous ne sommes qu’au début de cette aventure. Je vais même remonter à bord un an plus tard.

Donc, à suivre !

P.S. si savoir ce qui n’est passé dans (presque tous) les détails à Tamatave vous titille, cherchez dans les opus précédents de « vos histoires de mer» les deux textes qui s’intitulent « Tonga Soa Toamasina ».

Je n'ai pas trouvé les textes précédents. Un français me suggérait il y a 10 ans d'amener mon voilier à Tamatave où il vivait 6 mois par an avec sa compagne malgache ... tout en reconnaissant la corruption qui y régnait !

ici, en plusieurs textes.
Je n'y ai jamais remis les pieds, mais je sais que plusieurs personnes y ont perdu leur bateau depuis (deux voiliers et un yacht)

Merci pour le lien !

Suite 1.

Six mois passent sans nouvelles puis un jour, David m’appelle : « Tu ne vas pas en revenir, j’ai réussi à amener ton bateau jusqu’à Nosy Be sans rien casser ! ». Ca m’en bouche un coin, oui, alors il me raconte.

Après notre débarquement, David prend conscience qu’il a peut être eu les yeux plus grands que le ventre. Il panique, à tel point qu’il n’ose pas retourner à bord. Chaque matin il se rend à l’extrémité du quai face au bateau, y reste un long moment, et renonce à embarquer dans l’annexe. Le rituel dure… trois mois, jusqu’à fin janvier. A cette époque, le risque cyclonique est au plus fort ou presque. Alors il se décide à monter à bord une première fois, armé d’un protocole : chaque jour, il ira sur son bateau et effectuera une action qui le rapprochera d’être en capacité d’appareiller avant qu’il ne soit trop tard.

Le premier jour, il suit les instructions que j’avais écrites, branche l’électricité et allume tout ce qui peut l’être à bord. Le deuxième, il démarre le moteur et le fait tourner 20 minutes. Le troisième, sans relever l’ancre, il hisse la grand voile.

Il faut une semaine supplémentaire pour que David se décide à remonter le mouillage au guindeau et à faire un tour au moteur et GV haute dans le canal Sainte-Marie, le grand bras de mer qui sépare l’île Sainte-Marie de Madagascar. Puis un autre jour il déroule le génois et coupe le moteur. Il tire des bords, se familiarise avec le pilote automatique et le GPS lecteur de cartes puis rentre mouiller le bateau à l’abri de l’îlot Madame.

C’est bon, il peut partir… Il avitaille pour plusieurs mois de mer en autonomie et lève l’ancre un matin du mois de février. On est en pleine saison des cyclones. Soit le vent est faible de secteur est, soit c’est un cyclone.

Le premier jour, il fait une trentaine de milles et rejoint la baie de Manompana, au nord de la spectaculaire pointe sablonneuse à Larrée. C’est une des très rares baies anticycloniques de la côte est de Madagascar. A ce titre, sa passe d’entrée était autrefois balisée. Aujourd’hui, plus aucune trace de balisage ne subsiste et le récif corallien est très mal discernable en fin d’après-midi avec le soleil de face lorsqu’on rentre dans la baie vers l’ouest. Néanmoins, David y parvient et va mouiller quelques jours tout au fond de la baie, devant un petit hôtel resto tenu par un vieux chinois.

C’est à partir de là que la navigation se complique. Sur plusieurs centaines de milles jusqu’au cap l’Ambre, qui marque l’extrémité nord de Madagascar, la côte de la grand île ne présente que quatre abris potentiels, peu sûrs et aux l’entrées dangereuses par vent fort du large :
- La baie d’Antanambe, très ouverte et mal protégée des vents du large par une langue de terre trop basse pour ralentir les bourrasques ;
- Un mouillage à l’extrémité nord-est de la vaste baie d’Antongil dans le parc national du Masoala, à l’entrée délicate entre des cailloux non cartographiés ;
- Le lagon de Vohémar à la passe d’entrée pas balisée ;
- Et enfin la grande baie fermée de Diego-Suarez où pas mal de voiliers se font fracassés en raison de la barre qui se forme à l’entrée par vent fort.

Et bien David réussi à rejoindre Diego en un mois et demi par vents faibles, tranquillement, sans qu’aucun cyclone ne balaye la zone. Puis sur les conseils des rares navigateurs de passage, il franchit le cap d’Ambre au moteur par vent nul. La chance sourit aux débutants car le cap d’Ambre est le plus souvent balayé par du force à 7 à 9, avec un cisaillement de courants arrivant des deux côtés de Madagascar et se rejoignant à cet endroit. Il en résulte une marmite infernale que vous imaginez facilement et à titre personnel, j’y ai chaviré avec ce même bateau. Un petit 120 degrés, rien de cassé à part quelques bols et l’antenne du GPS, mais quand même…

Aguerri par presque deux mois de mer, la redescente le long de l'ouest de Madagascar est une promenade de santé. Le Canal du Mozambique est protégé de la houle et du vent de l’océan Indien par une chaine de montagnes de plus de 2000 mètres d’altitude. Un régime de brises thermiques tranquilles s’établit sur une trentaine de milles de large le long de la côte. Pour compléter le tableau, les mouillages paradisiaques y sont innombrables.

David arrive donc à Nosy Be par un beau jour du mois d’avril, et c’est de là qu’il m’appelle.
A suivre…

Suite 2

David arrive donc à Nosy Be par un beau jour du mois d’avril, et c’est de là qu’il m’appelle. Il s’installe au mouillage organisé du Cratère, au sud de Nosy Be et profite d'Elni (le nom du bateau, que j'aurais dû citer bien plus tôt) en rayonnant sur une quarantaine de milles dans les petites îles et les baies aux mouillages magiques.

C’est à cette période que mon ami Jean-Pierre m’appelle également. L’aventure vécue une petite dizaine années auparavant avec mon vieil ami a été d’une toute autre dimension. C’est le naufrage brutal de son Maracuja 42 "Fruit de la Passion" à Mayotte lors d‘un cyclone, son renflouement puis sa reconstruction menée tambour battant. Une aventure humaine et technique intense de deux ans que j’ai racontée en deux épisodes dans l’histoire s’intitulant « l’âpre Fruit de la Passion ». Après la remise à l’eau, Jean-Pierre m’offre l’usufruit de sa magnifique unité de voyage, et je m’installe à bord dans le grand lagon de Mayotte.

Depuis, Jean-Pierre a récupéré son bateau et y vit une retraite heureuse en compagnie de son équipière. Ils sillonnent inlassablement le canal du Mozambique pour mener des recherches archéologiques sur les premiers peuplements de la Grande Île.

L’âge avançant, il doit aller en France pour subir une intervention chirurgicale incontournable, mais il ne peut envisager de laisser Fruit de la Passion seul au mouillage du cratère sans une surveillance active et surtout, sûre. Les gardiens locaux ont la réputation de rapidement retourner leur veste, en fonction des opportunités financières qui s’offrent à eux. Il est de notoriété publique qu’un gardien bien payé peut devenir du jour au lendemain le voleur à bord du bateau qu’il surveille, pourvu qu’un commanditaire lui offre une somme suffisamment alléchante pour le matériel qui se trouve à bord, moteur inbord compris ! Tous ne font pas cela, naturellement, mais Jean-Pierre connait assez bien la chanson pour préférer faire appel à une surveillance extérieure.

Il n’y a pas que cela. La remise à l’eau de Fruit de la Passion après sa rénovation date de huit ans. Certains éléments du bord nécessitent une attention particulière mais Jean-Pierre ne se sent ni les compétences ni la force dans l’état où il se trouve pour le faire. Je suis donc l’heureux élu, qui pendant tout le mois d’août vais naviguer sur son bateau mais avant cela, remettre d’aplomb tout ce qui cloche. Comme dix ans plus tôt il me donne deux cartes : une blanche et une de crédit, dont j’use avec modération ! Ce mois passé à Nosy Be est en fait une opportunité, car mon épouse n’aura pas de congés cet été. Nous ne rentrerons donc pas en Bretagne pour grenouiller dans les cailloux Normands-Bretons pour les vacances.

Je préviens naturellement David de mon arrivée à Nosy Be, ce début août. Il se trouve que les deux voiliers de voyage, Elni et Fruit de la Passion, sont voisins de mouillage. David vient me chercher en annexe au ponton d’accueil et après un saut à mon bord, m’amène sur Elni. Il est nerveux et pressé. Que ce passe-t-il ? Il craque et m’explique avant même que nous soyons à son bord. Il a très peur que je l’engueule, car il imagine que l’entretien d'Elni n’aura pas été à la hauteur de ce que j’aurais effectué moi-même. C’est assez probable et j’en serais affecté, mais je n’ai pas à le lui reprocher car ce n’est plus mon problème.

Effectivement, je constate que les voiles ne sont pas protégées par leurs tauds. Elles cuisent au soleil et ont triste allure, mais je ne dis rien. L’antidérapant de pont a vieilli également, ce qui est normal sous les tropiques. David me pousse à l’intérieur d'Elni qui sent l’huile de teck et l’encaustique. Il vient de passer deux jours à briquer les boiseries, qui sont impeccables. Il me montre enfin ce qui lui cause tant de stress : une mauvaise gestion de la charge des batteries et/ou une manipulation inappropriée a provoqué un début d’incendie dans la cabine arrière où se trouve l’installation. David, présent à bord lors du départ de feu a pu le maitriser, mais les boiseries sont partiellement brûlées. Tout fonctionne à nouveau après réparation et remplacement de toutes les batteries. Après tout, cela peut arriver à tout le monde et David, malgré son inexpérience, a fait des progrès considérables et aucune erreur de navigation qui aurait pu mener à la perte du bateau, dans une région de navigation pas si facile que cela.

Du coup, ma réticence à ce que nous partions naviguer ensemble en double-solitaire (chacun sur son bateau) s’efface. David me l’avait demandé, ce à quoi j’avais initialement répondu que les réparations sur Fruit de la Passion ne me laisseraient que peu de temps pour naviguer…

Le nécessaire fait sur Fruit de la Passion, nous partons vers le sud pour explorer les îles Radamas et la côte de la Grande île, qui possède de très beaux mouillages. David et Elni me suivent, toujours derrière, car Fruit de la Passion est plus de long de près de trois mètres à la flottaison et plus rapide. Je constate avec plaisir que David maitrise fort bien les manœuvres en solitaire et mouille son bateau dans les règles, avec une longueur de chaine adaptée. Cette navigation de deux semaines où nous partageons tous les repas et les poissons pêchés sur un bateau ou l'autre est un véritable plaisir. Je vois enfin évoluer Elni sous voiles ! C’est un bateau avec lequel j’ai parcouru des dizaines de milliers de milles sans jamais le voir d’ailleurs que du pont !

Toute bonne chose ayant une fin, je restitue Fruit de la Passion à Jean-Pierre à son retour de France et je rentre bosser à Tananarive. Trois mois s’écoulent jusqu’à un nouveau coup de fil de David, qui m’appelle de France. Sa situation personnelle a évolué défavorablement et la situation d’Elni laissé au mouillage seul à Nosy Be est préoccupante.

A suivre...

Photos :
1) Elni au mouillage à Sainte Marie, devant le quai de l'îlot Madame.
2) Elni mouille à côté de Fruit de la Passion, David à la barre.
3) Elni arrive, en face de Fruit de la Passion. Je suis déjà à l'eau pour me rafraichir.
3 et 4) A bord de Fruit de la Passion, qui trace sa route tranquillement. Nous aurons ce temps, ce vent et cette mer (habituels en cette saison) pendant toute notre navigation.

Vite, la suite ☺️

Merci Franck pour ces témoignages et... si bien rédigés. En effet on attend la suite...

Merci à vous !
Dans moins d'une heure !

Suite 3 et fin de l'histoire.

David m’explique au téléphone que les revenus de sa petite rente se sont taris et que son départ précipité pour la France est sans retour possible d'ici plusieurs années faute de finances. Nous sommes déjà en novembre, proches de la saison cyclonique et David s’inquiète à juste titre pour Elni. Pour autant, il n’envisage pas pour le moment de le vendre, ce qui me semble absurde dans sa situation. Devinez à qui il demande de s’occuper du bateau ?

J’oppose cette fois-ci un refus à David, car je trouve que cette histoire a assez duré. J’ai beaucoup aimé ce bateau, et je vis à ce moment comme un échec sa vente forcée à 50 % de sa valeur commerciale, alors qu’il devait être le support de notre tour du monde. Je pourrais le racheter, mais je me suis engagé financièrement dans un autre projet et j’ai de toutes façons envie de passer à autre chose.

Nous en restons là, mais je ne peux m’empêcher de passer quelques coups de fils aux copains voileux de Nosy Be. Ce que j’apprends, et que David ne sait pas, est alarmant. La nouvelle de son départ définitif s’est répandue comme une trainée de poudre. Et bien davantage que le cyclone, ce que David a à craindre est le vol pur et simple d’Elni par un des types peu recommandables, français, qui trafiquent dans le coin.

Je suis loin d’être le seul à considérer ces individus échoués à Madagascar comme des parasites de la société, aux agissements répréhensibles aussi bien avec la propriété d’autrui, qu’avec les très jeunes femmes de l’île. Malheureusement, ce sont les agissements de quelques individus de ce genre qui provoquent un jour ou l’autre une explosion de colère incontrôlable des malgaches, et qui font que des étrangers innocents se retrouvent cuits, ficelés dans des pneus enflammés à l’essence…

Que ce magnifique voilier de voyage tombe entre les mains d’un salopard qui va faire du trafic d’alcool ou de drogue avec l’Afrique m’ulcère (je vous épargne le pire du pire sur ce forum nautique…). Il m’est impossible d’ignorer le danger et curieusement dans mon esprit, Elni redevient mon bateau. Alors, sans prévenir David, je remets Elni qui ne m’appartient plus à vendre. Inutile de paniquer David, alors qu’il n’est plus en mesure de revenir à Madagascar. Et quand bien même, que ferait-il ? Je préfère lui proposer une solution à laquelle il répondra pas oui ou par non. J’aurai fait ce que j’aurai pu.

Et je trouve, très vite, en moins d’une semaine. Nosy Be est un spot intéressant pour acheter un voilier lorsqu’on est retraité à Madagascar ou résident à Mayotte, qui n’est distante que de 180 milles. Sans même me déplacer, je déniche un acheteur : un retraité français, constructeur amateur de plusieurs voiliers, financièrement viable et très intéressé. Néanmoins, à la vue de l’état extérieur d’Elni qu’il visite seul, il propose 7 000 euros de moins que ce que David me l’a acheté un an auparavant. J’estime sa proposition très correcte, d’autant qu’il accepte que ni David ni moi ne nous déplacions pour la prise en main du bateau.

Alors j’appelle David, un nœud dans le ventre. Comme je m’y attendais, l’avalanche de nouvelles, depuis le vol imminent du bateau, sinon sa perte au prochain cyclone, sa mise en vente sans son accord, provoque son incompréhension puis sa colère. La discussion au téléphone est brutale mais mon autorité l’emporte et je passe le savon de sa vie à David. D’une voix cinglante, je lui rappelle finalement les options qui se présentent à lui. Elles se résument simplement à un choix binaire : la somme que l’acheteur lui propose ou la perte de son bateau.

David s’effondre en larmes et accepte ma proposition. Mais il ne veut plus entendre parler d’Elni après avoir raccroché le téléphone et demande à ce que je m'occupe de tout, du versement de l’argent sur son compte aux papiers. Ce sera chose faite, bien entendu. David reçoit l’argent quelques jours plus tard et m’envoie des remerciements. Je n'aurai plus jamais de ses nouvelles.

De mon côté, je souhaite que ma relation avec Elni cesse définitivement, mais ce ne sera pas le cas. Pendant un an encore, j’assure une aide technique à distance. Puis un jour, vraiment lasse, je coupe définitivement les ponts, ce qui m’oblige à bloquer plusieurs interlocuteurs.

A ce jour, Elni est un des rares voiliers rescapés du cyclone dévastateur qui s'est abattu sur Mayotte l'année dernière. Même si j'ai tourné la page, la vue de quelques photos d'Elni posé indemne sur le quai du club nautique de Mayotte m'a comblé d'aise.

Fin de l'histoire... enfin j'espère !

ELNI est-il un Ne Quid Nimis ?

Yes, custom. Pont modifié et aménagé aux chantiers Amel, avec les éléments d'aménagement du Sharki.
Une unité unique et splendide.
Plus lourde que les autres, car renforcée de toute part et avec plusieurs crash box.
Et des boiseries Amel pas des plus légères.
Néanmoins, excellent en mer, car cette coque aime la charge. Raide à la toile et puissant. Bien équilibré.

Ton histoire avec les autorités me fait penser à notre arrivée et départ de Misima, en Papouasie New Guinée.
On arrivait de Vanikoro ou les habitants et le mode de vie n’avaient pas du beaucoup changer depuis l’époque ou La Perouse y avait perdu ses bateaux l’Astrolabe et La Boussole.
L’entrée de Misima, devant laquelle on s’était présenté avec un bon alizé de 25/30 kn juste après le coucher du soleil n’était pas évidente. D’un coté la falaise, de l’autre le récif et une passe de 50m de large. Le problème est que je n’avais pour y rentrer qu’un vieux dessin et pas de carte. Il y avait bien un feu, théoriquement, mais je ne savais pas si ce feu était coté falaise ou coté récif. Enfin, passer 12h à capeyer dehors dans 3m de creux et 30 kn de vent n’était pas une perspective réjouissante et donc, sous génois réduit seul je m’approchais de la passe en scrutant aux jumelles le moindre indice.
Je ne me suis pas trompé et on a passé une bonne nuit dans ce port paisible.
Au matin, c’était glauque.
Le seul voilier mouillé pas très loin de nous était monté par un américain ancien du Viet Nam qui était en pleine crise de palu et de paranoïa qu’il soignait ou tentait de soigner dans le whisky.
A terre, c’était pas folichon. Misima est une ile minière. Les mineurs plus ou moins esclaves côtoient les vieux grabataires. Les bouges aux musiques boum boum et aux filles fardées s’étalent tout au long du quai.
Les cases en tôle rouillées dégoulinent sous la pluie tropicale.
C’est pas vraiment le coin rêvé.
Mais c’est un port d’entrée pour la Papouasie et comme on veut aller à Port Moresby et dans la Fly River après, autant être en règle avec les autorités.
Et donc, me voici avec mes passeports, papiers et un peu de dollars sur le quai, à chercher le bureau de la Police, Douane ou autre fonctionnaire apte à me délivrer une libre pratique et tamponner mes passeports.
Je trouvais.
Le fonctionnaire était comme sa ville. Glauque. Gros, pas rasé, odorant, dans un uniforme sale et débraillé. Ses lunettes noires, même dans son bureau ou un ventilateur anémique et lent peinait à faire partir les dizaines de mouches posées un peu partout le faisait ressembler à une caricature de dictateur africain.
Il était pourtant jovial et m’expliquât qu’il ne pouvait ici même tamponner mes passeports, mais qu’il ne pourrait le faire qu’à l’aéroport situé à plusieurs km de la ville et que mes passeports seraient prêts et à jour le lendemain matin.
J’étais bloqué
les passeports étaient dans sa main. Je n’avais plus qu’à espérer qu’il serait bien là le lendemain, qu’il ne les aurait pas vendus pour une bouteille de whisky ou donné à une des filles qui traînaient devant le poste.
Au matin, j’étais devant son bureau.
Quand il arrivait, vers 9h, il avait mes passeports et était souriant. Ça semblait bien se présenter.
Oui mais…
Pour avoir tamponner mes 2 passeports, le déplacement, l’encre, etc., c’était $100 par passeport pour me les rendre.
Bon, je m’y attendais un peu et tout souriant, j’expliquais à ce ripou que je n’avais bien sur pas cette somme avec moi ici, mais que s’il voulait bien prendre son canot et me suivre à bord, non seulement je lui donnerai cette somme, mais je ne manquerai pas de lui offrir une bonne bouteille pour le remercier de sa diligence.
Quand j’arrivais au bateau, quelques minutes avant lui qui me suivait dans son canot à rame, j’expliquais la manœuvre à ma femme et ma grande fille.
Et j’allais accueillir mon policier.
L’installait dans le carré.
Ma femme démarrait le moteur
Ma grande fille commençait à remonter l’ancre.
Je libérais notre chien Tom, gros berger allemand au grondement lionesque et qui surtout pouvait produire ce grondement à volonté.
« Tu poses les passeports ou je lâche mon chien »
Le gars avait sauté dans son canot au moment ou la chaine arrivait en haut. On était hors du port avant qu'il ne touche terre.
Du coup, on est allés direct en Australie et on a zappé Port Moresby.

Magnifique 🤣

Comme il paraît que ce n'est pas la taille qui compte, je vous en présente une très courte.

ED850 et moi-même avons proposé deux histoires, où nous avons été confrontés à de quelconques autorités, légales ou non, au fort pouvoir de nuisance.

Il en résulte, même quand l'issue est favorable, un fort coup de stress, qu'il faut évacuer d'une façon ou d'une autre.

Moi, je bois un bon coup de bière fraiche, en gueulant et en rotant de façon sonore. Ça me libère.

Mon copain R. a navigué 10 ans avec sa jeune et très jolie épouse entre les Philippines, la Papouasie nouvelle-Guinée, la Thaïlande, etc. Une vaste zone où la rencontre avec des pirates est très probable sur une si longue durée.

Le couple y a malheureusement eu le droit plusieurs fois, avec une trouille et un coup de stress que je n'ose imaginer.
Ils s'en sont sortis, grace à l'expérience de mon pote, et sans doute à beaucoup de chance.

Mais ensuite, R. me dit avoir eu à chaque fois, une irrépressible envie de bai.er !
Réflexe physiologique incontrôlable.

Heureusement pour ses nerfs, Madame a toujours su faire face à l'urgence !

Merci beaucoup pour vos histoires. Je note que Frank35 a certains moments de son récit se culpabilise d'appliquer des règles de survie qui sont applicable dès qu'on sort de nos "bulles" (Europe) et même ces "bulles" peu être mises à mal du jour au lendemain si une situation dans laquelle on se trouve croise l'agenda de carrière d'un fonctionnaire x ou y. Il n'y a aucune culpabilité à avoir, c'est juste une trajectoire de vie qui nous met en contact avec la vie qu'une toute grande majorité des habitants de cette terre connaissent et qu'il nous faut apprendre en cours accélérés à certains moments de notre vie. Merci encore pour ces histoires. Elles forment ensemble un aspect de HEO qui est exceptionnel.

2012-08-20 - Floro (Norvège)

Phare du monde

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2012-08-20 - Floro (Norvège)

2022